Projet

La patrimonialisation des pratiques festives au Québec

Ce projet de recherche porte sur la problématique de la patrimonialisation des pratiques ou traditions festives. Il postule au départ que les fêtes appartiennent à la catégorie du patrimoine immatériel définie entre autres par les savoirs et connaissances liées à la nature et à l’univers, les traditions orales (contes, chansons, musiques), les savoir-faire liés aux métiers ou à l’artisanat, les pratiques sociales, les rituels et les événements festifs (UNESCO). Le projet s’appuie également sur une définition large de la patrimonialisation en termes de processus (comprenant différentes étapes, actions et procédures) par lequel un objet (une pratique ou un espace) acquiert un statut patrimonial (composé de critères, de valeurs et de facteurs) légitimé et partagé par divers agents ou acteurs sociaux (institutions, communautés).

Ce projet s’interroge sur les processus de construction de la valeur patrimoniale d’abord du point de vue des acteurs de la communauté. Il s’agit de dégager les divers indicateurs qui confèrent une valeur patrimoniale à un type de fête ou de tradition festive : objet de la fête, activités, acteurs, facteurs économiques, symboles, etc. de manière à étudier les mécanismes de reconnaissance, d’appropriation et de transmission du patrimoine. Les fêtes, comme expression du patrimoine immatériel, semblent jouer un rôle de plus en plus important dans les économies locales. À l’instar du carnaval de Binche (Belgique), elles représentent des marqueurs identitaires forts pour la population locale tout en constituant un enjeu économique important pour faire vivre certaines communautés durant l’année, entre autres par leur pouvoir d’attraction touristique et les retombées qu’elles suscitent. Les fêtes sont donc souvent l’objet d’une tension entre un désir d’appropriation, qui conforte le sentiment d’appartenance, et un désir d’attraction pour rentabiliser le développement local. Cette tension suppose l’utilisation, à divers degrés, des procédés de commercialisation, de spectacularisation, bref de touristification et c’est précisément là que résident les enjeux de la patrimonialisation. Pour réaliser ce projet, je retiens deux figures de cas qui, chacune à leur manière, offrent un champ d’observation idéal, original et complémentaire : le Carnaval de Québec et la tradition de la Mi-carême. Ce choix se justifie sur plusieurs plans. Il permettra d’observer les processus à l’œuvre dans le contexte de fêtes populaires, voire urbaines – le Carnaval de Québec – qui réunissent divers publics de masse (locaux comme étrangers) et des fêtes plus communautaires et locales, qui rassemblent des publics moins larges, qui se passent en région des grands centres et qui sollicitent peut-être davantage un sentiment d’appartenance. De plus, ces deux fêtes se situent dans le même cycle calendaire, celui du carnaval-carême et sont apparentées; on a souvent dit de la mi-carême qu’elle était un redoublement du carnaval, plus spécifiquement des trois jours gras. D’autre part, l’investissement affectif et social dont sont l’objet ces pratiques festives permet d’étudier la tension apparente entre le « pour soi » et le « pour l’Autre », qui s’investit dans un autre cadre, le local et le global. Enfin, ces fêtes, considérées comme traditionnelles, par opposition aux fêtes contemporaines, récentes, et aux événements à caractère historique et commémoratif, permettront d’aborder plusieurs notions comme la tradition, l’authenticité, l’innovation, l’invention ou la revitalisation, sur lesquelles repose la construction de la valeur patrimoniale. Les recherches récentes ont généralement tendance à présenter les processus de patrimonialisation comme étant uniformes. Mon hypothèse est que ces processus varient selon les types de patrimoine – matériel ou immatériel –, et en l’occurrence dans le cas des fêtes, les contextes où elles se déroulent sont hétérogènes laissant d’ailleurs plus de latitude aux acteurs de la communauté. Il s’agit d’étudier les transformations et les adaptations qu’elles ont subies, et par l’analyse des stratégies de mise en scène et de mise en patrimoine, de comprendre les processus de construction de la valeur patrimoniale de ces fêtes. Partant du point de vue qu’il ne peut y avoir patrimoine sans patrimonialisation, une tradition festive ne peut devenir patrimoniale qu’à l’issue d’un processus de sélection qui s’effectue selon un certain nombre de critères répondant à des valeurs partagées par un groupe ou une communauté donnée. L’identification de ces critères et valeurs, sans doute spécifiques aux fêtes – en comparaison de certains objets, dans les collections muséales nationales par exemple, qui acquièrent un statut patrimonial critérié selon une sélection rigide –, permet de comprendre à quelles conditions la patrimonialisation peut s’effectuer. Comme questionnement corollaire sont étudiés les aspects réversibles, définitifs et négatifs de la patrimonialisation associée aux fêtes.

Chercheurs principaux

  • Martine Roberge